« Nous avons un problème de gouvernance à tous les niveaux » : à qui la faute ?
Voilà un homme qui va faire ses besoins dans l’arrière cour de son appartement. Quand il se lève, il décide de ne pas se nettoyer le derrière. Il se croit ainsi original. Voulant ressortir, il passe naturellement par sa chambre. Il n’y a personne et il se convainc de la justesse de son choix. Quand il arrive dans l’antichambre, il y a là quelques membres de la maison qui, bien vite, s’aperçoivent que l’homme traînait une odeur fétide. Leurs regards interrogateurs l’agacent quelque peu et il se hâte de sortir en les lorgnant. Une fois dehors, la cour est pleine d’enfants qui jouent là. Quelques mouches impolies et gonflées osent aller renifler le derrière de l’homme dont le pantalon n’arrivait pas à isoler l’odeur. Curieux, les enfants accourent et, sans ménagement, commencent à chanter que l’homme avait oublié de se nettoyer le derrière. Furieux, il leur adresse des regards méchants. Craintifs, les enfants s’en retournèrent à leurs jeux. Mais quelques pas plus en avant, voilà l’homme pris en charge par une escouade de drosophiles sauvages et leurs sœurs, ces grosses mouches vertes, qui bourdonnent autour de ses fesses, qui s’accrochent à son pantalon, scrutent son dos, poussent l’outrecuidance jusqu’à courtiser ses oreilles. Honteux et confus, mais surtout agacé, l’homme leur décoche des coups de mains ravageurs. Ceux-ci ne frottent que du vent puisque bien avisées, les mouches échappent à la furie des mains. L’homme s’en fut en galopant en avant, demandant de l’aide. Mais tous le jugeant irresponsable, la lui refusèrent. Il fut enseveli sous la horde de mouches géantes et gonflées qui ne boudèrent pas leur plaisir… Un tel homme, faut-il le secourir, le plaindre ou le blâmer ?
Sans forcément avoir de lien avec le sujet sérieux que je m’en vais scruter, cette inspiration m’est simplement venue au moment de me pencher sur mon clavier.
« Nous avons un problème de gouvernance à tous les niveaux ». Ce sont les propos qu’auraient tenus le président Boni Yayi soi-même, devant les importateurs ce mercredi 27 juin, et que rapportent mes confrères. S’ils sont effectivement de lui, lesdits propos sonnent à la fois comme un aveu d’échec, d’incompétence et d’incapacité. Car il lui aura fallu plus de six ans pour s’en rendre compte. Six ans au cours desquels il n’a pas manqué d’être interpellé, éclairé, conseillé. La mal gouvernance, pis, l’ingouvernance à laquelle le pays est soumis, c’est ce que nous n’avons eu de cesse de dénoncer toutes ces années durant ; espérant vivement qu’enfin l’on prendrait conscience, en haut lieu, de cela. Mais nous tous, au Bénin, qui avons refusé la compromission pour nous cantonner à bien remplir notre devoir, parce que nous avons foi en notre pays, en un Bénin autre, combien d’anathèmes ne nous a-t-on pas jetés ? Ostracisés, traqués comme des pestiférés, nous ne fûmes, au mieux, que traités d’opposants. Aujourd’hui, cet aveu du célèbre docteur, vaut en même temps réparation, réhabilitation.
Mais ce n’est pas nous qu’il faut réhabiliter, c’est le Bénin. Car, de ce « problème de gouvernance à tous les niveaux », c’est le Bénin qui en a le plus souffert et qui en souffre encore. Jusques à quand ?
En effet, s’il était apparu comme une solution, que dis-je, la solution à nos problèmes en 2006, je doute fort qu’en six ans, le docteur-président les ai résolus mais qu’il se soit, lui-même rapproché plus du problème tout en s’éloignant de la solution. En langage simple, d’aucuns diraient qu’il est devenu lui-même le problème. Et pour cause ! Lorsque vous refusez manifestement d’écouter quiconque, lorsque les critiques vous horripilent plus qu’elles ne vous réveillent, lorsque vous croyez avoir raison à tous les coups, et l’autre a averti que « Le plus grand danger, c’est de croire qu’on a toujours raison », qui pouvez-vous rendre ensuite responsables de vos défaites, de vos errements ? Combien de conseillers du chef de l’Etat, combien de ministres ne se plaignent en privé de ce que leur chef « n’écoute personne » ? Or, un adage de chez nous enseigne que celui qui ne veut pas entendre les grondements du tonnerre, sera surpris par l’orage. Et nous y voilà !
Ils viendront nous dire qu’il faut féliciter le chef de l’Etat d’avoir eu le courage de reconnaître que « nous avons un problème de gouvernance à tous les niveaux ». Si le ridicule pouvait encore tuer ? Ils s’emploieront à oublier de préciser que s’il en va ainsi aujourd’hui, plus de six ans après son avènement pour un bail maximum de dix ans, c’est d’abord à cause de lui et personne d’autre. Quelqu’un, Adrien Houngbédji en l’occurrence, avait très tôt, trop tôt même, perçu cela et avait affublé l’équipe gouvernementale de Boni Yayi, du célèbre vocable de « gouvernement ventilateur ». Nous étions en 2007 ! Même s’il est curieux que le même, aujourd’hui, puisse envisager d’aller aider le même ventilateur à brasser davantage de vent, cela n’enlève, hélas, rien à la triste réalité.
Et ce n’est pas le fameux forum économique national qui y ferait quelque chose. Ce ne sont pas les bavardages qui feraient l’affaire. La solution, implacable, unique c’est de changer l’homme cause de cette situation. Autrement, nous n’aurions rien fait. Car, sans désespérer de la race humaine ni du Béninois, faut-il espérer aujourd’hui, sans paraître plein d’illusions et déraisonnable, un changement radical de la part de Boni Yayi pour inverser la courbe actuelle ? Difficile d’y croire. Or, si la méthode ne change, rien de significatif ne suivra. Et il serait malvenu d’accuser encore les autres, les collaborateurs, sans jamais mettre le doigt là où ça fait mal. Tous les discours, toutes les professions de foi auxquels donnerait lieu le fameux futur forum économique national, ne seraient que de l’eau versé sur le dos du canard, de l’argent jeté par la fenêtre dans ce contexte où avons besoin d’en économiser, tant que nous ne toucherons pas au problème qui nous ronge. Le temps n’est plus aux discours ni aux bonnes intentions. Notre problème de gouvernance à tous les niveaux à un nom. Il a aussi une solution.
Mon éminent professeur d’Anglais au collège Père Aupiais, Jonas Atindéhou à qui je rends hommage au passage, m’a appris qu’ « Un singe en velours demeure un singe ». Qui dit mieux ?