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  • : Le Blog de Wilfried Léandre HOUNGBEDJI
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  • Wilfried Léandre HOUNGBEDJI
  • Journaliste et écrivain béninois engagé. Auteur des livres: Liberté et Devoir de Vérité (mai 2008), Scandales sous Yayi (décembre 2008) et 2011...?! Chroniques d'une élection annoncée fatidique (décembre 2009)
  • Journaliste et écrivain béninois engagé. Auteur des livres: Liberté et Devoir de Vérité (mai 2008), Scandales sous Yayi (décembre 2008) et 2011...?! Chroniques d'une élection annoncée fatidique (décembre 2009)

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4 mars 2014 2 04 /03 /mars /2014 19:39

Discours présidentiel du 28 février:  Quelles avancées pour la sortie de crise ?

 

« Avant de parler, assurez-vous que ce que vous voulez dire est plus beau que le silence » disait le président Mathieu Kérékou. Une façon pour lui d’enseigner qu’un chef ne parle pas pour le plaisir de parler. Que la parole présidentielle doit se faire rare et, si elle intervient, doit être décisive. Face à la crise sociopolitique que vit le pays, le propos du chef de l’Etat, après les menaces et autres imprécations de ses ministres et aficionados, devait donc être une véritable invite à la détente voire à la fin des hostilités. Le discours du 28 février dernier a-t-il apporté du nouveau dans le sens de la résolution de la crise ? Doit-on le considérer comme fondateur d’une autre approche du management politique de cette crise ?

 

 

 

Au plan formel, avant même que d’envisager l’angle sémantique et sans vouloir nous attarder sur le ton du message, le chef de l’Etat, à l’occasion de ce discours, s’est présenté en victime, de même que son gouvernement, de cette « situation sociale au Bénin ». Une démarche de victimisation consacrée par la volonté « de (nous) prendre à témoin face à la fronde sociale menée par certaines organisations syndicales de notre chère commune patrie, le Bénin». Dans la perspective de recherche de solution pour la sortie de crise, la date du 28 février a été sans doute choisie à dessein, pour la symbolique de consensus qu’elle véhicule en référence à la clôture de la Conférence nationale des Forces vives de février 1990, qui vit se réaliser alors un consensus pour sortir le Bénin de la grave crise sociopolitique et économique qu’il connaissait. Mais on se demande pourquoi la Plume du président, tout en rappelant la charge historique de la date, a oublié de signaler que son gouvernement, depuis 2011, a fait de cette date « la Journée du consensus » quoique sans engouement ni succès véritable. Ce rappel aurait été fait, et l’argumentaire construit autour, qu’il se serait révélé peut-être plus efficace. Et si cela devait traduire la volonté du gouvernement ou la nécessité pour notre pays de réaliser à nouveau ce consensus, on se laisserait dire volontiers que pour réaliser le consensus, il faut être plusieurs autour de la table. Or, ici désormais, c’est quasiment le dialogue de sourds entre les acteurs sociopolitiques qui ne se parlent pratiquement plus.

Ensuite, la stratégie de victimisation se double d’un nihilisme de la réalité ou de l’ampleur de la fronde sociale en cours. En effet, après avoir suggéré que la fronde sociale est menée par certaines organisations syndicales, alors qu’il s’agit de la quasi-totalité et des plus grandes et des plus représentatives, la Plume du président lui faire dire que « … certains responsables syndicaux ont suscité des mouvements de débrayage visant en vain la paralysie de l’administration publique » même si « face à leur détermination des perturbations ont été observées par endroit ». S’il est clair que les mouvements de débrayage en question ne sont pas suivis à 100%, il doit être curieux que l’on fasse dire au chef de l’Etat qu’ils n’ont provoqué que des perturbations par endroit, minorant ainsi totalement leurs portée et effets. A se demander donc, si telle était la réalité, à quoi bon consacrer cette débauche d’énergie à vouloir mettre fin à un mouvement plutôt bien circonscrit et sans impact réel. Et puis, intervenant de façon solennelle depuis le 27 décembre 2013, en dehors bien entendu de son message de vœux à l’endroit du peuple béninois, et des échanges de vœux de nouvel an avec les institutions et autres corps constitués, le chef de l’Etat, tout en reconnaissant que « le Bénin traverse une crise sociale due à l’arrêt de travail décidé par certaines centrales et confédérations syndicales» -(on lui faisait pourtant minorer la portée de la crise un peu plus tôt)-, la situe « suite à des manifestations publiques non autorisées par l’Autorité départementale au regard des dispositions légales (et) sous le prétexte que les libertés publiques sont ainsi menacées… ». N’aurait-il pas été judicieux, en cette Journée du consensus, que le président de la République, dans le souci de l’apaisement qu’il recherche, se fît plus diplomate et conciliant ? En effet, n’ayant pas été sur les lieux et se fiant aux fiches qu’on a dû lui faire, le chef de l’Etat aurait sans doute marqué positivement les esprits des grévistes, dans l’idéal de consensus que le choix de la date du 28 février entendait suggérer, en indiquant par exemple qu’il ne connaît pas l’ampleur des ‘’dégâts’’ et que s’ils étaient exagérés, il n’approuvait pas la méthode. Au contraire de cela, son propos semblait dire qu’il assumait ce qu’il s’est passé ce jour-là. Un certain sens de responsabilité du chef sans doute, qui assume les actes de ses collaborateurs. Mais qui n’interdit pas de les sanctionner s’ils ont allés trop loin. Et on peut d’ailleurs se demander pourquoi l’arrêté préfectoral sur la base duquel la tentative de marche a été sévèrement réprimée, a été finalement rapporté.  Mais on peut se réjouir que s’agissant des libertés publiques, le président de la République n’ait pas employé le conditionnel et ait plutôt repris la dénonciation affirmative des syndicalistes au sujet des menaces sur lesdites libertés.

Par ailleurs, en soutenant avec insistance l’illégalité des grèves et en revenant sur les nombreux efforts de son gouvernement  en faveur des travailleurs en général et des enseignants en particulier, le chef de l’Etat entend convaincre le peuple qu’il prend à témoin, de la bonne foi du gouvernement. Une démarche qui peut faire mouche si les principales revendications des grévistes, en cette occurrence, étaient d’ordre salarial.

 

Quelles avancées ?

 

Si on peut déplorer les insinuations sur les réels mobiles de la grève, cela pouvant compromettre davantage les négociations en cours, on devra relever la démarche d’humilité du chef de l’Etat qui, en dépit des menaces, aura entendu « l’appel des sages » et autres « confessions religieuses », et décidé de restituer les fonds défalqués pour fait de grève. On s’interrogera, cependant, sur le format de l’annonce, sachant que les négociations se poursuivent en principe et qu’il aurait été forcément plus judicieux et efficace de faire savoir cette décision, en premier, dans le cadre des négociations. Seulement, on n’occultera pas que cette démarche répond sans doute à une logique de communication politique. Qui viserait à convaincre l’opinion de ce que le gouvernement a fait de gros efforts et à, ainsi, essayer de décrédibiliser les grévistes et leurs mouvements. De fait, il ne semblait plus opportun que le président de la République soulignât que cette décision de rétrocéder les défalcations « ne saurait être interprétée comme un recul, encore moins une capitulation » pour ensuite dire que « force doit rester à la loi », menaçant ainsi ceux qui ne reprendraient pas le travail sans délai.

Au-delà de se préoccuper de la grève et de ses effets, le discours du président de la République a fait des annonces majeures qui, dans ces conditions, risquent de ne pas être perçues à leur juste dimension. Le chef de l’Etat se convainc qu’ « une nation qui ne parle pas avec elle-même court à sa ruine » et « en appelle donc au dialogue politique ». Un dialogue politique qui, à son avis dit-il, « doit être au cœur d’un ensemble de pactes stratégiques faits de partenariats noués dans un esprit patriotique et de responsabilité » et dont il fixe, par avance, les conditions, du reste plus subjectives qu’objectives : « dépassionner et dépersonnaliser les débats sur les problèmes de la nation, en discuter sans préjugés ni arrière-pensée ». Un dialogue politique qui « doit se nouer au sein de la classe politique en se démarquant des calculs d’intérêts personnels et surtout du refus de l’acceptation de l’autre dénoncé depuis des siècles… ». A se demander comment amener des acteurs politiques à honorer ces préalables. Ne pas comprendre que tout cela peut participer du jeu politique et s’y faire peut être nuisible au dialogue recherché.

En outre, le président de la République dit réaffirmer sa détermination « à continuer d’œuvrer pour la promotion d’un dialogue stratégique entre (son) gouvernement, la société civile et le secteur privé fondé sur un pacte de citoyenneté et de responsabilité » et il « exhorte également le secteur privé et les syndicats à un dialogue fécond… », de même qu’il entend favoriser  « le dialogue interreligieux… indispensable pour renforcer la laïcité de notre Etat et préserver la liberté de conscience, de culte et de croyance ». Toutes choses qui le rapprochent, au moins sur la forme, de ceux qui, depuis un moment, en appellent à un « dialogue national inclusif » ou à des « assises nationales ». Car, à la vérité, que gagnerait-on à mener ces différents dialogues suggérés par le chef de l’Etat, en démultipliant les espaces de discussion plutôt partielle et parcellaire que d’engager le dialogue global où tous ces sujets auraient leur place ? Et c’est à cette condition, qu’au sortir de ces assises, sa conviction qu’ « ensemble nous sommes plus forts et l’avenir plus radieux » trouvera sens ; tant il est difficile aujourd’hui de dire que les Béninois regardent dans la même direction, vivent dans la cohésion. Au contraire, la synergie d’action et de pensée a disparu et les forces se contredisent, se combattent pour se neutraliser finalement au lieu de chercher à fédérer leurs énergies pour la cause nationale. Bienheureux qui prendra courageusement la décision d’œuvrer à la tenue de ces assises nationales souhaitées désormais par tous, peut important le nom qu’on leur donnera, car il entrera dans l’histoire.

Au total, le discours yayien du 28 février dernier, en dépit des autosatisfactions et autres subtilités langagières que sous-tend la logique politicienne, offre au moins sur le papier une lucarne intéressante pour scruter l’horizon : celle du dialogue entre tous les acteurs majeurs du pays. Au-delà des intentions, resterait maintenant à donner un contenu à cette profession de foi. Ce n’est pas gagné d’avance mais ce n’est pas une gageure non plus. Il est possible d’y arriver. Et c’est en cela que le discours du 28 février aurait réussi à accomplir son dessein pour devenir un discours fondateur. A condition de passer vite aux actes, l’enfer étant parsemé de belles intentions…  

 

Publié dans La Nation du 03 mars 2014

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